Du flou un peu partout

"Je n'arrête pas de demander à quiconque ... de m'expliquer quel problème (les monnaies numériques de banque centrale - MNBC) sont en train de résoudre", a déclaré l'année dernière Neel Kashkari, président de la Federal Reserve Bank de Minneapolis. "Et tout ce que j'obtiens, c'est un tas de paroles en l'air."

Plus près de chez nous, à la conférence “Les opportunités et les défis de la tokenisation de la finance : quel rôle pour les banques centrales ?”, qui à eu lieu à Paris en septembre dernier, et qui réunissait des pointures de la finance traditionnelle mondiale, et bien pas grand monde n’était d’accord sur une définition commune pour le concept de MNBC.

A titre d’exemple, pour la Banque de France, une MNBC est en quelque sorte une amélioration du système SWIFT actuel, donc une optimisation du système bancaire. En revanche, pour la Banque Centrale Européenne (BCE), une MNBC est destinée à servir directement les particuliers. Deux banques, deux ambiances.

Autrement dit, il reste encore du travail pour que les pays s’accordent sur l’utilité et de l’application concrète d’une MNBC. Et cela commence sûrement par avoir la même définition. 

Des avantages encore peu palpables

L’inclusion financière peut-être ?

Prenons l'exemple de l'inclusion financière aux Etats-Unis. Les enquêtes menées par la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) révèlent que certains citoyens n'ont pas de compte bancaire parce qu'ils ne remplissent pas les conditions minimales requises pour ouvrir un compte, notamment les “exigences de solde minimum” pour payer les frais de tenue de compte.

Lors de la dernière enquête réalisée en 2021, 4,5 % des ménages américains (environ 5,9 millions) étaient « non bancarisés », ce qui signifie que personne dans le foyer n'avait de compte courant ou d'épargne dans une banque ou une coopérative de crédit.

"Vous n'avez pas assez d'argent pour respecter les exigences de solde minimum" a été cité par 21,7 % des ménages non bancarisés comme la principale raison de ne pas avoir de compte dans l’étude.

En réalité, même si nous supposons que les MNBC peuvent éliminer les frais, l'argent et la finance restent deux choses distinctes. Les potentiels futurs comptes sans frais des MNBC ou les cartes prépayées d’aujourd’hui, n'intègrent pas soudainement les gens dans le système financier global. Surtout, pouvons-nous croire que le moteur du développement de ces devises étatiques numérisées est uniquement voué à l’inclusion financière ? Nous pouvons au moins en douter. 

Les autres raisons

Les autres raisons citées par les ménages américains dans les enquêtes menées par la FDIC pour ne pas avoir de comptes bancaires sont les suivantes : 

  • “Ne pas faire confiance aux banques” était la deuxième raison principale la plus citée pour ne pas avoir de compte en 2021 (13,2%)

  •  “Éviter une banque donne plus de confidentialité” était la troisième raison principale la plus citée (8,4%).

La confiance ? Les banques ne sont peut-être pas la tasse de thé de tout le monde, mais le gouvernement n'est pas non plus très apprécié. Pew Research révèle que la confiance du public dans le gouvernement américain est à un niveau historiquement bas. Seuls deux Américains sur dix ont déclaré faire confiance au gouvernement de Washington en 2022. L'émission d’une MNBC rétablira-t-elle la confiance ? Nous pouvons au moins en douter. 

(cliquez pour agrandir)
Confiance des américains dans le gouvernement 
Pew Research

La vie privée ? Certes, les banques peuvent être curieuses, mais n'oublions pas que c'est le gouvernement qui les a transformées en mouchards des forces de l'ordre sous l'application de la loi dans le cadre du Bank Secrecy Act (loi sur le secret bancaire) de 1970. Les banquiers centraux, que ce soit sur le Vieux Continent ou de l’autre côté de l’Atlantique, ont déjà déclaré que l'anonymat n'était pas possible. Les MNBC pourraient donc potentiellement bien être une couche de surveillance de plus au régime de la Loi sur le secret bancaire.

Bien que l'anonymat dans les transactions soit impossible dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, nous pouvons nous demander si l'émission d’une MNBC va réellement aller dans le sens d'une amélioration de la confidentialité des transactions de manière générale, ou du moins de ne pas la détériorer. Nous pouvons au moins en douter. 

Mais alors qui en profite pour l'instant ? 

En fin d’année dernière, la Réserve fédérale (Fed) a lancé la phase de développement de sa monnaie numérique de la banque centrale : un  programme pilote de 12 semaines avec les plus grandes institutions du pays : Deloitte, HSBC, J.P. Morgan, Mastercard, McKinsey, Visa…

Sociétés travaillant sur le projet de MNBC américaine
CATO Institute

Ce qui est plus intéressant, c'est que certaines des entreprises qui promeuvent activement les MNBC sont également celles qui ont encouragé la Fed à aller de l'avant sur le sujet. Dans une lettre de commentaires à la Fed, HSBC a écrit :

“En tant que plus grande banque commerciale au monde et l'un des plus grands cambistes, HSBC est activement impliquée et engagée dans un certain nombre de projets de monnaie numérique de banque centrale (MNBC), y compris avec des banques centrales individuelles et la Banque des règlements internationaux (BRI).

“Nous nous engageons à soutenir le développement des MNBC là où les banques centrales et les gouvernements souhaitent les examiner ou les introduire, à des fins de gros ou de détail. Nous sommes bien placés pour soutenir et conseiller les banques centrales et les autorités publiques alors qu'elles abordent les décisions en matière de politique, de modèle opérationnel et de technologie qui découlent du développement des MNBC, et de l'essor de nouvelles formes de monnaie numérique de manière plus générale.”

De même, Mastercard, dans sa propre lettre de commentaires, a écrit :

“Mastercard s'engage à accompagner les banques centrales dans la voie qu'elles ont choisie pour moderniser leur système de paiement ; y compris le développement d'une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) lorsque cela est pertinent. … Nous nous engageons à apporter cette expertise pour soutenir la conception, les tests et le déploiement des réseaux de MNBC là où les banques centrales choisissent de poursuivre leur développement.”

Un bon nombre de sociétés ont émergé à la poursuite de ce qui semble être la prochaine grande opportunité de passation de marchés publics de l’autre côté de l’Atlantique. De la promotion de la recherche des MNBC au développement de la technologie liée à celles-ci, beaucoup ont reconnu qu'il y avait une énorme opportunité de profit sur la table. 

Malgré tout, ces MNBC ne font pas l’unanimité chez l’Oncle Sam. Le représentant Tom Emmer, le républicain numéro trois à la Chambre des représentants des États-Unis, le sénateur républicain Mike Lee et le sénateur républicain Ted Cruz ont tous présenté une législation visant à interdire une MNBC gouvernementale.

En Europe, la phase d’étude d’un prototype d’euro numérique, qui devrait durer deux ans, a commencé en octobre 2021 et devrait prendre fin en octobre 2023. Nous explorerons les détails de cet euro 2.0 une fois les premiers travaux publiés après la phase d’étude. 

Bien que nous ne sachions pas encore précisément à quelle sauce vont être préparés ces MNBC, aussi bien en Europe que de l’autre côté de l’Atlantique, l'intérêt de leur utilisation pour les citoyens lambdas reste mystérieux.

En attendant, les banques centrales s’activent toutes à travers le globe pour proposer une nouvelle version de leur propre devise. De son côté, la Chine continue dans l'expansion de son e-yuan, où il est présent dans 17 des 23 provinces que compte la Chine et où toutes les transactions effectuées en e-yuan sont visibles et enregistrées par le gouvernement.

Le développement de MNBC dans le monde
CBDCtracker.org